12. Les droits syndicaux sous pression

Des militants syndicaux sont poursuivis

Dans de nombreux pays, les syndicats libres et indépendants sont tout bonnement interdits. Songeons à la Chine, où le syndicalisme est contrôlé par le régime et où des organisations libres n’ont pas l’ombre d’une chance de voir le jour. Les régimes autoritaires poursuivent souvent ouvertement les militants syndicaux. Partout dans le monde, le droit de grève est remis en question, le droit de mener des actions est muselé, les employeurs essayent d’obtenir de l’autorité publique une législation répressive visant à rendre les actions de grève et autres malaisées.

Et cela peut aller très loin ! En février 2023, Esther Lynch, secrétaire générale de la CES, a été expulsée de Tunisie pour avoir pris la parole au cours d’une rencontre organisée par l’UGTT – le syndicat local – en vue de protester contre les errances politiques du président Kais Saied. Les autorités ont ensuite lancé une vague d’actions contre les syndicats et ont décrété la détention d’Anis Kaabi, Secrétaire général d’une des branches de l’UGTT. Le président Saied a ordonné l’expulsion de Lynch en raison d’un discours qui s’apparentait selon lui à une ingérence éhontée dans les affaires intérieures du pays. En mars 2023, le gouvernement a interdit la venue de syndicalistes d’au moins six pays en Tunisie. Ils devaient venir témoigner leur solidarité avec l’UGTT, affiliée à la CSI (Confédération Syndicale Internationale).

‘La part des pays violant le droit de grève est passée de 63 pour cent en 2014 à 90 pour cent en 2023.’

Depuis dix ans la CSI (la coupole syndicale globale) publie un triste rapport !

Quand je suis allé avec la députée européenne Kathleen Van Brempt rendre visite à un piquet de grève chez DHL Express en Turquie en mars 2018, j’ai pu parler avec un militant de notre centrale sœur Tümtis à propos de son jeune fils. Comme beaucoup de ses camarades, il s’était lui-même retrouvé en prison pour cause d’activités syndicales.

Quand il fut libéré et retrouva son fils le soir, il parla avec le petit garçon de ce qu’il voulait faire plus tard. Celui-ci lui répondit qu’il voulait devenir un super héros pour que son papa n’aille plus jamais en prison parce qu’il s’occupait d’autres gens. A ce moment-là, on se rend compte de ce que les syndicalistes doivent endurer dans le monde.

Le 30 juin 2023, la Confédération syndicale internationale (CSI) a publié l’édition 2023 de son index des droits des travailleurs à travers le monde. Et ce rapport est franchement inquiétant. 149 pays sont analysés chaque année par la CSI sur le thème du respect des droits des travailleurs.

La part des pays violant le droit de grève est passée de 63 pour cent en 2014 à 90 pour cent en 2023.

En 2023, les grèves étaient fortement limitées voire interdites dans 130 des 149 pays analysés. Dans ces Etats, on parle d’un gouvernement qui réprime activement les actions collectives. Souvent de manière brutale. Les travailleurs qui font grève sont poursuivis pénalement ou licenciés.

Dans 44 pays, les travailleurs et leurs représentants syndicaux ont été victimes d’actes de violence. Souvent avec le recours à des forces de police ou armées, qui emploient souvent la violence sans discernement. Le pourcentage de pays qui arrêtent et emprisonnent des travailleurs a grimpé de 25 pour cent en 2014 à 46 pour cent en 2023.

La même année, des syndicalistes ont été assassinés dans huit pays : Brésil, Colombie, Equateur, El Salvador, Swaziland, Guatémala, Pérou et Sierra Leone. L’Equateur et la Tunisie se sont ajoutés à la triste liste des dix pires pays pour les travailleurs. Ils rejoignent le Bangladesh, la Biélorussie, l’Egypte, le Swaziland, le Guatémala, Myanmar, les Philippines et la Turquie.

Dans les pays démocratiques aussi, les droits syndicaux sont de plus en plus mis sous pression.

Dans mon pays, la Belgique, le président de ma confédération a été condamné – au même titre que seize militants syndicaux – pour entrave méchante à la circulation. Lors d’une grève générale en 2015, quelques militants du syndicat socialiste FGTB avaient organisé un barrage filtrant. En compagnie du président de la FGTB, ils ont été poursuivis et condamnés pour cette action à des peines de prison avec sursis allant de quinze jours à un mois et à des amendes. Quelque temps auparavant, le président de la FGTB de la région d’Anvers avait été condamné pour la même raison : parce qu’il avait organisé un piquet de grève dans le port d’Anvers pendant une action de grève.

Il n’est donc pas étonnant que la Belgique continue de figurer dans cet index CSI à la catégorie des pays se distinguant par leurs atteintes régulières aux droits existants. La Belgique est explicitement citée pour des cas de violation du droit de grève.

‘Dans les pays démocratiques aussi, les droits syndicaux sont de plus en plus mis sous pression.’

Mais les droits des syndicats ne sont pas les seuls en danger. La liberté de la presse, si emblématique d’une véritable démocratie, est également remise en question. Le philosophe français Voltaire disait jadis : « Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites mais je me battrai jusqu’à la mort pour que vous ayez le droit de le dire. » C’est pourquoi nos démocraties modernes ont prévu la liberté d’expression et la liberté de la presse.

Quand nous voyons comment – surtout du côté de la droite populiste – la presse est intimidée et publiquement insultée, nous pouvons dire que l’heure est grave. Donald Trump n’hésite pas à s’en prendre vertement à des journalistes présents lors de ses meetings. Les journalistes d’investigation qui osent poser des questions critiques sont accusés par l’extrême droite populiste de propager des fake news.

Le climat ainsi créé ouvre la porte à l’étape suivante. Celle où des régimes autoritaires, de droite seront au pouvoir et où les journalistes seront tout simplement poursuivis. Les régimes autoritaires qui frappent de plus en plus durement les médias libres représentent la plus grande menace pour la liberté de la presse dans le monde, conjointement à la désinformation et la propagande.

Aujourd’hui, la liberté de la presse est mise à mal dans sept pays sur dix dans le monde. Tel est le constat de l’Index annuel mondial sur la liberté de la presse. Ce classement mesure à quel point les journalistes sont libres de diffuser des informations de façon indépendante, sans crainte pour leur propre sécurité. Seuls trois pays sur dix obtiennent un score satisfaisant. En 2022, 86 journalistes ont été assassinés à travers le monde dans l’exercice de leur profession!

LUC TRIANGLE
°03/10/1961. Belgique.
Secrétaire général de la Confédération Syndicale Internationale (CSI). Ancien secrétaire général de l’IndustriAll European Trade Union et de l’European Trade Union Federation for Textiles, Clothing and Leather (ETUF-TCL). A lancé sa carrière syndicale au sein du syndicat belge CSC-ACV.

‘Il existe un lien direct entre la santé de la démocratie et les droits syndicaux !

LUC TRIANGLE

Lorsque la démocratie faiblit, les droits syndicaux sont menacé. Partout dans le monde, nous constatons que les droits syndicaux sont menacés.

Pourquoi ? Parce qu’en tant que syndicats, nous représentons le plus grand mouvement social au monde et nous sommes donc aussi les principaux gardiens de la démocratie. La Confédération syndicale internationale (CSI ou ITUC) compte 200 millions de membres, répartis dans 340 organisations et 167 pays (ou territoires occupés comme la Palestine). Nous défendons la démocratie, les droits humains et les droits des travailleurs, l’égalité, la protection des plus vulnérables, la liberté d’expression, les droits de la communauté lgbtq+, la paix et bien d’autres choses. Un monde qui se trouve à notre portée si nous faisons les bons choix.

Toutefois, nous constatons aujourd’hui, et Frank le décrit aussi, que les extrémistes, les fascistes, les nationalistes et les populistes utilisent la peur et l’incertitude de nombreux travailleurs pour faire avancer leur programme extrémiste. La peur et l’incertitude naissent d’une mondialisation débridée et du fait que les travailleurs voient leurs droits et leur salaire acquis systématiquement attaqués par la course vers le bas généralisée.

Les frontières entre l’autocratie et la démocratie s’estompent. Lorsque le dialogue entre les autorités et les citoyens échoue, lorsque les États flirtent avec l’autocratie pour faire passer des lois impopulaires, lorsque des gouvernements mobilisent la police et l’armée pour réprimer une résistance légitime, la démocratie est mise en jeu et les citoyens et les travailleurs en subissent les conséquences. Les droits syndicaux reculent car, en tant que syndicats, nous avons une vision qui s’oppose diamétralement aux populistes et extrémistes. Il existe un lien direct entre la santé de la démocratie et les droits syndicaux !

Et ça, la CSI/l’ITUC peut aussi le démontrer. Chaque année, nous publions notre Indice des droits dans le monde. Il s’agit d’une enquête approfondie sur les droits syndicaux dans 149 pays. Depuis l’introduction de l’indice en 2013, nous constatons une régression systématique du droit des travailleurs de s’organiser en syndicats, du droit à des négociations collectives, du droit de grève, du droit d’enregistrer des syndicats, du droit à la liberté d’expression ou du droit de manifester, etc. Chaque année, de nombreux militants syndicaux sont agressés, chez eux ou lors de manifestations.

Nous devons inverser la tendance. Défendre les droits syndicaux équivaut à défendre la démocratie. Les représentants politiques qui se disent démocrates (y compris en Belgique) ne le sont pas si, dans le même temps, ils approuvent les actions judiciaires que nous avons connues contre des militants syndicaux en Belgique (Liège, Anvers, etc.).

J’écris ces lignes juste après avoir discuté avec des militants syndicaux du secteur du textile au Bangladesh, qui demandaient de l’aide car deux de leurs collègues ont été assassinés par des brigades d’intervention. Dans le Honduras, quatre militants syndicaux ont été tués fin juin 2023.

La solidarité syndicale est-elle nécessaire au niveau international ? L’indice CSI a montré que la situation en Europe se dégrade rapidement, que ce soit au Royaume-Uni, en France, en Turquie, en Pologne, en Macédoine du Nord ou encore en Hongrie. Ce n’est pas un hasard : il s’agit de pays où les responsables politiques ajoutent leur « propre signature » au concept de démocratie.

En tant que syndicats, nous avons le devoir absolu de nous soutenir les uns les autres. An attack on us anywhere, is an attack on us everywhere, comme on dit en anglais. Plus que jamais, nous devons unir nos forces. Les travailleurs d’Amazon dans les États du Sud des États-Unis hostiles aux syndicats, nous montrent l’exemple. Ils luttent pour une reconnaissance syndicale, tout comme les travailleurs de Starbucks, Tesla et bien d’autres entreprises partout dans le monde. Leur combat est aussi le nôtre. Pour les droits syndicaux, pour la démocratie.