5. Pour l’Europe

L’Europe aujourd’hui

L’Union européenne que nous connaissons aujourd’hui est l’aboutissement d’un long processus d’unification progressive. Il n’entre pas dans nos intentions de retracer l’histoire de ce cheminement. Mais nous pouvons dire sans crainte de nous tromper que tout a officiellement commencé en 1951 lorsque six pays ont décidé de créer la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier (CECA) : la Belgique, l’Allemagne, la France, l’Italie, le Luxembourg et les Pays-Bas. En 1958, cette communauté a donné naissance à l’appellation Communauté Economique Européenne (CEE). Et en 1993, le nom a été modifié en Union Européenne.

Entre-temps, l’UE s’est transformée en un ensemble de 27 Etats membres, s’étendant sur une superficie de plus de 4 millions de kilomètres carrés et comptant 447,7 millions d’habitants. L’impact de cette Europe sur notre vie quotidienne, notre travail, nos loisirs… ne peut certainement pas être sous-estimé.

Impact de l’Europe sur le transport
Dans les discussions avec des syndicalistes du secteur du transport, il m’arrive de dire que la réglementation du secteur est déterminée à environ 85 pour cent au niveau européen. Ce pourcentage peut même être dépassé.

Le régime des temps de conduite et de repos, qui définit pendant combien de temps un chauffeur professionnel peut rouler d’une traite avant de devoir se reposer.

Le tachygraphe, qui contrôle si le chauffeur s’y conforme.

La règle du cabotage, qui définit combien de temps un chauffeur poids lourd peut rouler dans un pays européen avant d’être obligé de rentrer chez lui.

Les règles d’équipage en matière de navigation interne, qui seront bientôt fixées à l’échelon européen.

Et n’oublions pas le rôle négatif joué à deux reprises par l’Europe concernant le « paquet des services portuaires ». Ses propositions tendaient à raboter le statut relativement protégé des dockers dans de nombreux Etats européens.

Tout cela est décidé au niveau européen. Souvent à l’issue de longs pourparlers, souvent en guise de compromis entre des intérêts divergents. Toujours au bout d’une procédure complexe où le Parlement européen, le Conseil de l’Union européenne et la Commission européenne ont leur mot à dire.

Et on peut en penser ce qu’on veut. On peut avoir des critiques à émettre (et il m’arrive d’en avoir de sérieuses), mais cette Union européenne existe et exerce un impact énorme sur la vie des citoyens des Etats membres. En tant que militant syndical, on est donc obligé de s’y intéresser. Surtout si l’on veut défendre les intérêts de gens que l’on représente. Et c’est ce que nous voulons, non ?

Si nous nous désintéressons de l’Europe, l’Europe s’intéressera à nous de toute façon. Et vraisemblablement pas de la façon qui nous plaît.

‘L’impact de cette Europe sur notre vie quotidienne, notre travail, nos loisirs… ne peut certainement pas être sous-estimé.’

Pour ou contre ?
En tant que militants syndicaux, oserions-nous encore dire que nous sommes partisans du projet européen ? Combien de politiques, voire des syndicalistes, osent encore dire qu’ils soutiennent l’Union européenne ? Qu’ils sont convaincus que la collaboration transfrontalière est susceptible de générer un progrès pour tous les citoyens européens ? Osons-nous encore expliquer aux jeunes générations que la construction européenne a permis 75 années de paix en Europe ? Rappelons-nous le temps où nous avions besoin de quatre moyens de paiement différents pour voyager en camion de la Belgique vers le Portugal : les francs belge et français, la peseta espagnole et l’escudo portugais. Et qui ne pestait pas face à la paperasserie et les temps d’attente parfois longs aux frontières ?

Aujourd’hui, il est devenu de bon ton d’adopter l’attitude inverse. Si on demande au docker lambda ce qu’il ou elle pense de l’Europe, on reçoit vite un avis négatif tranché sur diverses atteintes portées à son statut en Belgique. Et sur la façon dont la réglementation européenne est utilisée pour remettre un bon statut en question.

On recevra une réponse identique du transporteur qui voit son emploi détérioré par le dumping social ayant le vent en poupe en Europe. Un transporteur qui a d’abord vu ses collègues d’Europe de l’Est submerger le marché pour ensuite voir arriver des travailleurs extérieurs à l’Union : des Ouzbeks, des Biélorusses, des Ukrainiens et même des Philippins. Tous trop peu payés, tous exploités, tous entraînés dans la race to the bottom organisée dans l’industrie du transport.

Et nous savons très bien que le Brexit n’a pas seulement été encouragé à droite en Grande-Bretagne. Nous pouvons certes difficilement qualifier Nigel Farage de progressiste mais de nombreux travailleurs, y compris des syndicalistes, ont aussi mené une campagne active pour la sortie de la Grande-Bretagne de l’Union européenne.

La question est de savoir s’ils sont encore convaincus de leur choix aujourd’hui. Le fait est qu’une partie de la gauche en Grande-Bretagne – le Parti travailliste inclus – a soutenu activement ou au moins passivement le Brexit. N’oublions pas : même Jeremy Corbyn, leader du Labour au moment du Brexit, restait aussi sibyllin sur la question.

L’idée de la construction européenne était pourtant en principe progressiste et de gauche. Le socialiste italien Spinelli avait rédigé un projet sur la forme que pourrait prendre l’Europe lorsqu’il était détenu sur l’île de Ventotene. Nous parlons là des années trente du siècle dernier lorsque le fasciste Benito Mussolini était au pouvoir en Italie. La légende dit que Spinelli écrivait son projet pour l’Europe sur des feuilles à cigarettes, qui avaient été sorties de prison cachées dans le soutien-gorge de sa future épouse.

Internationaliste
Je suis moi-même internationaliste. Je ne me sens aucunement attiré par le nationalisme ou le repli sur la pensée nationale d’un pays ou d’une région.

C’est François Janssens, un ancien président de la FGTB, la Fédération du syndicat socialiste en Belgique, qui m’a transmis le message puissant du socialiste français Jean Jaurès. A la veille de la Première Guerre mondiale, celui-ci s’efforçait d’éviter l’éclatement du conflit mais il fut assassiné par Raoul Villain, un nationaliste français qui voulait quant à lui la guerre avec l’Allemagne. Ce lâche meurtre – il fut abattu par derrière d’une balle dans la tête – montre combien le message de Jaurès était fort. Actif dans le mouvement socialiste, internationaliste, Jaurès savait que les conflits armés ne sont pas les guerres des travailleurs mais qu’ils sont décidés par des groupes puissants en vue d’enrichir l’industrie de l’armement.

Guerre et nationalisme vont d’ailleurs de pair. Dans la région où je suis né, la Flandre, le nationalisme va en outre de pair avec la droite. Autoritaire, la plupart du temps.

La N-VA (Nieuw-Vlaamse Alliantie), qui participe à la gestion de cette même Flandre à divers niveaux depuis vingt ans, défend un programme socio-économique qui peut être qualifié de libéral et de droite. Et le Vlaams Belang, encore plus extrémiste, prétend défendre l’homme et la femme de la rue mais s’appuie dans la pratique sur un programme qui veut maintenir les salaires à un bas niveau, prône la modération salariale, s’oppose aux droits des lgbtqia+.

Droite et – plus encore – extrême droite surfent d’ailleurs sur les sentiments anti-européens présents dans une grande partie de la population.

Avec la droite populiste, il est de bon ton d’arpenter les marchés pour y débiter sa prose contre la prétendue élite, contre l’establishment. Bruxelles, capitale de l’Union européenne, fait aussi partie de ses cibles favorites.

Journaliste et experte des questions européennes, Caroline de Gruyter a déclaré dans une interview au journal De Morgen : « Avant le Brexit et avant l’invasion russe en Ukraine, beaucoup propageaient des scénarios d’« EU-exit ». Jusqu’à ce qu’ils voient les ravages causés par le Brexit et la façon dont les grandes puissances passent au-dessus de nos têtes avec l’Ukraine. On s’est aussi rendu compte qu’un pays est faible tout seul. C’est pourquoi tous les Etats membres ont consolidé leurs convictions européennes et accueilli des pays comme la Finlande (avec le Parti des Finlandais – radical de droite – au pouvoir) à l’OTAN. L’extrême droite a donc abandonné le discours de l’« exit ». Ils veulent désormais accéder au podium européen et changer l’Europe de l’intérieur. C’est leur nouvelle stratégie. Ce ne sera pas si simple, car ils restent aussi nationalistes et s’opposent entre eux sur bien des sujets. Mais lorsqu’il s’agit de réduire les libertés socio-culturelles, comme les droits des homosexuels et la liberté de la presse, ils font tous front. »

Si nous voulons apporter une réponse au discours anti-européen populiste de l’extrême droite, nous devons oser faire des choix clairs et avoir le courage de nous opposer aux positionnements simplistes et irréalistes. Nous devons avoir le courage de défendre l’Europe. Pas l’Europe actuelle : celle de la privatisation et de la libéralisation. Mais une Europe sociale. Sans Europe sociale, pas d’Europe.

‘La dimension démocratique de nombreux Etats membres régresse et cela risque de se faire ressentir au Parlement européen.

Une autre Europe

Nous ne devons pas pour autant être naïfs. L’Europe que nous connaissons aujourd’hui ne correspond pas du tout au projet que visaient Altiero Spinelli et ses camarades.

Soyons honnêtes : l’Europe est essentiellement un montage économique. Avec le principe de la liberté de circulation des marchandises, des personnes et des services comme vache sacrée. L’Europe est aujourd’hui un marché où il est bon de faire des affaires, où il est bon de gagner de l’argent (beaucoup) comme entreprise privée.

Chacun sait de quelle façon impitoyable l’Europe a frappé les Grecs pendant et après la crise financière de 2008. Le pays était au bord de la banque-route et, sous l’impulsion de l’Allemagne, il s’est vu recadrer sévèrement. Les Grecs devaient faire des économies. On a tendance à l’oublier mais le système des soins de santé s’est alors effondré et les pensions ont été réduites drastiquement. La vente des infrastructures publiques grecques était l’une des conditions pour l’octroi des prêts d’urgence destinés à éviter la faillite du pays. Le port du Pirée a été vendu, les Chinois de Cosco détenant désormais une participation majoritaire de 67 pour cent. Thessalonique est également entre des mains privées. L’exploitation de quatorze aéroports a été transférée à l’exploitant de l’aéroport de Francfort et le transport des personnes par voie ferroviaire appartient désormais à la firme italienne Trenitalia.

La discipline budgétaire est l’une des pierres angulaires de la construction européenne. Quand les clignotants d’un pays s’allument, il se voit directement rappelé à l’ordre. Les règles budgétaires sont contraignantes, une discipline de fer est observée. Des pays sont souvent obligés de pratiquer des coupes sombres. Ce qui affecte les services publics et la sécurité sociale. De telles règles strictes n’existent pas dans le domaine social. Si d’aventure des accords sont conclus au niveau social, ils restent non contraignants. Comme le socle européen des droits sociaux.

Il est dès lors très difficile d’expliquer à quelqu’un qui travaille au département marchandises des chemins de fer français (SNCF) que l’Europe est un projet porteur d’espoir. Ce même cheminot a en effet vu la SNCF contrainte de privatiser son département marchandises, sous la pression de la réglementation européenne. Avec de graves conséquences pour le personnel.

Nous avons déjà évoqué le cas du routier confronté au dumping social (« la faute uniquement à l’Europe ») ou du docker contraint de se battre contre plusieurs batteries de mesures portuaires portant atteinte à la protection des ouvriers. Les travailleurs se sentent souvent impuissants face au mastodonte nommé Europe. C’est compréhensible : les procédures de prise de décision au niveau européen sont complexes, une personne ordinaire ne peut plus s’y retrouver. Pourtant, il est encore possible d’exercer un impact sur le processus décisionnel de l’Europe.

Mener des actions en Europe s’avère payant !

Les actions syndicales contre les différents paquets portuaires en Europe sont un bel exemple de la façon dont les dockers se sont opposés aux plans désastreux de l’Union européenne visant à détricoter leurs avantages statutaires dans de nombreux pays européens.

A deux reprises, l’Europe est venue avec un paquet de mesures devant « réguler » le secteur des ports. Ou – disons plutôt – le déréguler. Il s’agissait des Port Packages 1 & 2 : deux tentatives visant à forcer les Etats membres à s’attaquer aux statuts protégés des dockers en Europe. L’un des points épineux était le selfhandling. Qui revient à dire que l’équipage allait devoir charger et décharger lui-même des navires. Chacun – même un enfant – sait que ce type d’activité est difficile et même dangereux. C’est pourquoi les dockers sont bien formés et apprennent comment charger et décharger un navire en toute sécurité. Seul un docker bien formé est capable d’exécuter ce travail convenablement. La Commission européenne voulait donc passer outre à ces règles strictes et à cette formation de plusieurs semaines.

Coup sur coup, des propositions ont été mises sur la table afin de tirer le statut des dockers vers le bas ! Mais elles ont pu être stoppées les deux fois. Non que les dockers aient poliment prié la Commission européenne de les retirer. Mais parce que les dockers européens sont passés à l’action : en faisant du lobbying auprès des politiques, en demandant le soutien de parlementaires européens proches, en descendant dans la rue pour manifester, jusqu’à Bruxelles et Strasbourg. L’opposition des dockers à ces propositions funestes de dérégulation est un exemple pour le monde ouvrier et doit nous amener à croire en notre propre force. Si nous le voulons vraiment, nous le pouvons !

Mais le Paquet Mobilité de l’Europe est aussi un bel exemple de l’influence que nous pouvons avoir en tant qu’ouvriers du transport si nous le voulons. C’est un paquet de mesures que la Commission européenne avait mises sur la table pour limiter le dumping social. Les constatations de la Commission étaient bonnes mais les solutions qu’elles proposaient étaient proprement catastrophiques.

La Fédération européenne des travailleurs des transports (ETF) est parvenue à corriger ces propositions catastrophiques pour aboutir à un compromis acceptable. Nous n’avons certainement pas obtenu gain de cause sur tous les points mais nous avons pu peser sur les discussions au Parlement, au Conseil et à la Commission. Combien de fois n’aura-t-il pas fallu pour cela défiler devant le Parlement européen à Bruxelles et Strasbourg ? A combien de meetings, contacts et hearings n’avons-nous pas été présents avec des dossiers chauds et des témoignages poignants de chauffeurs ? Nous avons finalement été entendus. Une fois encore, pas parce que nous l’avions gentiment demandé mais en faisant la démonstration de la force que nous possédons. Le pouvoir de la rue, des électeurs, des consommateurs, des personnes actives…

Les élections européennes de 2024

Du phénomène marginal au raz-de-marée
Dans divers pays européens, on assiste à une percée des partis politiques d’extrême droite, populistes et nationalistes. En Hongrie, un pays membre de l’Union européenne, Viktor Orbán provoque constamment des remous dans cette même Union.

Dans plusieurs pays européens, nous sommes confrontés à des gouvernements autoritaires, comme en Hongrie. En Italie, un parti néofasciste est au pouvoir avec Meloni. En Espagne, on a déjà assisté à une percée du parti d’extrême droite Vox aux élections régionales et les conservateurs du Partido Popular n’ont pas hésité à s’allier à eux pour la formation des parlements régionaux. Aux élections législatives anticipées de juillet 2023, le Partido Popular a gagné de nombreux sièges et est devenu le premier parti. Pas assez, heureusement, pour former une majorité avec les extrémistes de Vox. Le Parti socialiste ouvrier espagnol a même gagné quelques sièges après sa participation au gouvernement. Un nouveau scénario à l’italienne a donc pu être temporairement (?) bloqué. En Finlande, le Parti des Finlandais est entré au gouvernement.

La liste s’allonge de plus en plus. Ce qui avait débuté comme un phénomène marginal prend désormais des allures de raz-de-marée. Il est bon de se pencher à nouveau sur le climat économique qui avait précédé la Seconde guerre mondiale. Le rôle joué par les fascistes italiens était alors aussi marginal. Les communistes et les socialistes étaient présents partout dans la plaine du Pô. Mussolini (qui était d’ailleurs un ancien socialiste) est malgré tout parvenu en assez peu de temps à éliminer les progressistes et à rallier les travailleurs à sa cause par la contrainte ou la séduction. Cela doit rester une leçon. La dimension démocratique de nombreux Etats membres régresse et cela risque de se faire ressentir au Parlement européen.

Mobiliser les forces de gauche
Nous devrons mobiliser toutes les forces de gauche et progressistes en 2024 pour faire entendre la voix de l’homme de la rue au Parlement européen, pour que les aspirations de ceux qui travaillent puissent encore trouver un relais politique.

Les deux blocs de pouvoir traditionnels, la fraction de l’Alliance progressiste des socialistes et démocrates et les chrétiens-démocrates du PPE, risquent de perdre leur majorité commune au parlement. Cela signifie qu’il deviendra plus difficile de parvenir à des compromis entre les deux groupes. De plus, nous constatons que le PPE accueille de plus en plus de partis populistes et de droite carrément radicale dans sa fraction. Le rôle du PPE et de ses membres est d’ailleurs crucial. Cette fraction européenne pourrait-elle conclure des accords avec la droite extrême pour maintenir sa position dominante au Parlement européen ? Cette possibilité existe bel et bien et s’avère inquiétante. L’histoire récente nous apprend que lorsque la droite modérée reprend les positions de l’extrême droite, cette même extrême droite se radicalise encore plus. Un dérapage à (l’extrême) droite est alors garanti.

L’actuel président du groupe PPE, Manfred Weber, a déjà donné un coup de barre à droite. Le rôle joué par le PPE dans le récent débat sur le climat est inquiétant. Espérons que tous les partis démocrates chrétiens ne se laisseront pas entraîner dans cette dérive droitière et que les modérés réagiront quand le point de non-retour sera atteint. Aux Etats-Unis, les républicains ont connu le même dérapage avec le mouvement du Tea Party.

Caroline de Gruyter, une journaliste néerlandaise qui écrit surtout sur les questions européennes, donne dans De Morgen l’exemple de la CSU en Bavière quand le parti extrémiste de droite Alternative für Deutschland (AfD) s’y est aussi développé : « Les démocrates chrétiens conservateurs voyaient leurs voix diminuer et ont dès lors amorcé un virage à droite dans l’espoir de récupérer leurs électeurs. Mais les choses se sont passées tout autrement. Leur électorat fondait de plus en plus. L’actuel ministre bavarois de la Culture Markus Blume a mis fin au processus en s’en prenant à la mi-2020 à l’AfD. Il a alors dit quelque chose que je n’oublierai jamais. Lorsqu’un journal lui a demandé pourquoi il changeait à nouveau de cap, il a répondu ceci : « Du kannst ein Stinktier nicht überstinken ! » On ne peut pas puer plus fort qu’un animal puant ! La pratique l’avait démontré. Chaque fois que la CSU s’aventurait plus à droite en reprenant le discours extrémiste à son compte, l’AfD virait encore plus à droite. On finissait ainsi par intégrer le mainstream de la pensée d’extrême droite avant même d’avoir pu s’en rendre compte. »

Plus les Etats membres se situeront à droite, plus la Commission européenne et le Conseil de l’Union européenne mèneront une politique de droite. La construction européenne est à l’heure des révisions. Œuvrons pour une Europe démocratique dotée d’un parlement directement élu qui aurait plus de pouvoir que maintenant.

La chose est d’ailleurs confirmée par Theo Francken, du parti nationaliste flamand N-VA, sur les réseaux sociaux : « En revanche, j’espère sincèrement qu’une grande majorité de centre-droit pourra se former au Conseil européen et au Parlement européen après 2024. Ce n’est qu’ainsi que l’Europe pourra à nouveau se défendre. Ce n’est qu’ainsi que nous pourrons notamment stopper les vagues migratoires illégales. Avec la gauche nous n’y arriverons jamais. Le passé (tout comme le présent) le prouve. »

Progressistes de toute l’Europe : soyez-en avertis.

HENDRIK VOS
°30/06/1972. Belgique.
Professeur en politique européenne à l’UGent. Chroniqueur pour De Standaard. Auteur du livre « Dit is Europa – de geschiedenis van een Unie ». Créateur de la série télévisée « Het Ijzeren Gordijn». Créateur du podcast « Het mirakel van Schuman » sur l’histoire de l’unification.

‘La bataille vaut toujours la peine d’être menée et elle n’est jamais perdue l’avance.

HENDRIK VOS

Dernièrement, j’ai acheté une mappemonde sur un marché aux puces. Sur les cartes que l’on nous montrait à l’école, l’Europe paraissait grande et se trouvait au centre du monde. Une mappemonde est plus fidèle à la réalité. Par rapport à d’autres régions du monde, l’Europe est petite et morcelée : une mosaïque de petits pays pour la plupart.

Aujourd’hui et depuis longtemps déjà, les défis ne s’arrêtent plus aux frontières : le changement climatique, la migration, les pandémies, le terrorisme, l’exploitation sociale, l’évasion fiscale, etc. Pour y faire face, une approche commune est nécessaire. Les pays européens sont trop petits et insignifiants pour agir seuls. L’appel nationaliste à exercer le plus de compétences possible au niveau des nations ou de leurs régions équivaut à une capitulation : il est impossible d’apporter des réponses aux problématiques les plus importantes de notre époque en nous dispersant. En réalité, cela donnerait le champ libre à des puissances qui pourraient monter les États les uns contre les autres. Les grandes entreprises n’hésiteront pas à en profiter pour menacer de se délocaliser là où les règles sont les plus souples et où elles pourront faire le plus de profit sans être dérangées et sans devoir se préoccuper outre mesure d’accords sociaux.

Certains électeurs britanniques de gauche ont peut-être été amenés à croire que le Brexit conduirait à une plus grande prospérité ou à des normes sociales plus élevées. Aujourd’hui, ils se rendent compte à quel point ils ont été naïfs : la prospérité a baissé et lorsqu’il y a moins de gâteau, c’est surtout les programmes sociaux qui doivent se contenter d’une part plus fine. Les travailleurs ne sont pas non plus mieux protégés, bien au contraire.

Les Britanniques tentent d’améliorer leur compétitivité perdue en travaillant à moindre coût et en suivant le moins de règles possible. La situation des travailleurs ne s’en trouve pas améliorée et une extension des droits sociaux n’est vraiment pas à l’ordre du jour. Un gouvernement de gauche n’y changerait rien non plus. Les architectes du Brexit, Boris Johnson et Nigel Farage en tête, avaient évidemment préparé leur parachute et, depuis lors, vivent dans le luxe grâce à leurs rentes.

La meilleure garantie pour de meilleures normes sociales est la conclusion d’accords à un niveau plus élevé, à savoir au niveau européen. Si chaque pays fixait ses propres règles sur, par exemple, les temps de conduite et de repos, ils insisteraient toujours pour que les accords soient moins stricts, avec pour argument que d’autres pays sont plus laxistes : la course vers le bas.

L’Europe est bel et bien un marché sans barrières, mais ce n’est pas le Far West, sans règles ni accords. Les entreprises actives sur le marché unique doivent respecter toutes sortes de lois relatives à la protection de l’environnement ou des consommateurs et de normes sociales. Il est presque impossible d’imposer le même niveau de législation au niveau national, ce que les Britanniques constatent aussi aujourd’hui.

Il est difficile de trouver un autre endroit dans le monde où le niveau de protection est plus élevé que dans l’Union européenne: qu’il s’agisse de la sécurité des jouets, de la sécurité alimentaire, de l’utilisation de pesticides ou des normes climatiques, les règlementations européennes sont presque toujours plus strictes que dans le reste du monde. Évidemment, cela ne signifie pas nécessairement qu’elles ont toutes assez de poids.

Même dans le domaine social, l’Europe est généralement plus stricte qu’ailleurs, en offrant plus de droits aux travailleurs. Pourtant, les règlementations ne vont pas aussi loin que ce que les syndicats souhaiteraient. Sur le plan social, l’Europe a avancé plus lentement que dans d’autres domaines. Cela s’explique principalement par le fait que différents États membres ont entravé ce progrès au cours des dernières décennies. Un certain nombre de pays souhaitaient avoir le droit d’assouplir les normes de manière indépendante afin d’être plus intéressants « sur le marché ». Cela vaut par ailleurs aussi dans le domaine de la fiscalité, et ce, dans une mesure encore plus grande.

La bonne nouvelle est que les organisations sociales, dont les syndicats, sont désormais bien conscientes de ces dynamiques et plaident de manière unie pour une approche commune, axée sur des normes plus élevées et plus strictes et sur une meilleure protection sociale.

La politique européenne n’est pas prédestinée à virer à droite. Les politiques doivent être constamment réétudiées et une majorité doit être atteinte pour chaque règlementation, tant parmi les gouvernements des États membres qu’au sein du Parlement européen. Si des propositions aux conséquences sociales néfastes circulent, il est en effet possible de s’y opposer, de mettre en place une résistance et de pousser la politique dans une autre direction. L’inverse est également vrai, et au moins aussi important : les syndicats eux-mêmes peuvent également faire des propositions et donc avoir un impact, en convainquant les gens, en constituant une base, en motivant les députés à les soutenir, en amenant les gouvernements des États membres à se joindre à eux, etc. Ce n’est pas une tâche facile : dans de nombreux États membres, les majorités penchent à droite parce que de nombreux citoyens ont également voté dans ce sens – ainsi fonctionne une démocratie. Mais la bataille vaut toujours la peine d’être menée et elle n’est jamais perdue d’avance. Il faut de bons arguments, de la combativité et de la conviction. Heureusement, les syndicats en ont rarement manqué.