13. Chaque citoyen est du monde et le monde est à chaque citoyen !

Entre les sacs de sable à Abidjan

Nous sommes le mercredi 19 juillet 2023 et je suis en visite au port d’Abidjan en Côte d’Ivoire avec quelques collègues. Nous nous arrêtons près d’une équipe de dockers qui interrompent brièvement leur travail. Ils sont en train de charger des sacs de sel et arrimer le chargement pour le transport. Dans cette équipe composée d’environ dix personnes, aucun ouvrier ne porte des chaussures de sécurité. La plupart d’entre eux travaillent en tongs. Quelques-uns sont même pieds nus.

Des sacs se déchirent ou fuient. Le travail est donc effectué sur un tapis de sel. L’un des hommes prend la parole, pieds nus. Ses pieds paraissent fort abîmés par le sel, qui les attaque. « Regardez-moi », dit-il lorsque nous les interrogeons sur leurs principales récriminations et leurs besoins les plus urgents. Il est vêtu d’un t-shirt déchiré et d’un pantalon sale, en guenilles. Il est le seul de l’équipe à porter des gants. Du type que ma femme et moi utilisons pour travailler dans le jardin. Pas du tout approprié pour la besogne dure et salissante que ces hommes doivent exécuter.

Vient ensuite une longue liste de plaintes. Tomber malade signifie pas de travail et donc pas de revenu. L’assurance-maladie ? On oublie. Le matériel de sécurité : on ne leur en fournit pas. S’ils en veulent, ils doivent faire le nécessaire eux-mêmes. Malheureusement, ils n’ont pas assez d’argent car les salaires sont extrêmement bas. Chaque jour est fait d’incertitude quant au travail qu’ils auront ou pas. S’il y a beaucoup de navires à charger et décharger, ils peuvent travailler. Parfois, il n’y a pas du tout de travail ou pas assez pour tout le monde. Et donc de nouveau pas de revenu. La sécurité d’existence ? Inexistante.

Notre équipe est déconcertée quand nous prenons congé du groupe. En même temps, cela nous motive eu égard au soutien à apporter aux syndicats de dockers. Car il reste une montagne de travail à accomplir pour garantir une existence digne à ces gens.

En tant que syndicat européen, il est absolument nécessaire d’avoir une vision globale. L’évidence s’est entre-temps imposée. Et cette image globale n’a rien de reluisant. Il faut collaborer dans les structures syndicales internationales, tendre vers des stratégies communes, voir quelles sociétés multinationales doivent et peuvent en premier lieu être visées. La stratégie est importante. Il est tout aussi important de concrétiser cette stratégie par des partenariats bilatéraux. Je parraine deux projets dans lesquels mon syndicat s’est engagé concrètement. L’un au Kenya et l’autre en Côte d’Ivoire.

Des projets pour lesquels nous nous investissons à titre de syndicat belge, parce que nous estimons que nous devons joindre les actes à la parole. Un syndicat belge comptant un peu plus de cinquante mille membres ne peut certes faire des miracles, ni soutenir financièrement tous les syndicats émergents du Sud global. D’un autre côté, il serait trop commode de faire de grandes analyses sans entreprendre aussi des actions. Le slogan dit bien ce qu’il veut dire à cet égard : la solidarité n’est pas qu’un terme, c’est une attitude, un comportement.

C’est pourquoi – avec le concours de l’ITF – nous avons mis sur pied deux projets afin de soutenir des syndicats africains dans nos secteurs. Soyons honnêtes : nos partenaires africains n’ont pas besoin d’un simple soutien paternaliste venu d’Europe. Ils peuvent certes utiliser notre aide, mais nous avons aussi pas mal de choses à apprendre d’eux. C’est un partenariat d’égal à égal.

‘En tant que syndicat européen, il est absolument nécessaire d’avoir une vision globale.’

La solidarité en marche – Bound for solidarity

« If you want to walk fast, walk alone. If you want. to walk far, walk together. » C’est Musa Haku, qui m’a transmis cette sage devise africaine au cours de l’un de nos entretiens au Kenya. Cette déclaration a toujours été inspirante pour moi. Une chose que nous savons aussi, nous autres Européens, mais que nous oublions parfois.

Notre aventure au Kenya a démarré en 2015. A la demande de l’ITF, nous avions monté un projet de coopération avec le syndicat de dockers Dock Workers Union (DWU) et le syndicat de transporteurs Kenyan Long Distance Truck Drivers Union (KLDTDU).

Tout n’a pas toujours été facile mais nous sommes fiers de ce que nous avons pu réaliser ensemble. Avec l’argent de mon syndicat et le sponsoring du Service public fédéral des Affaires étrangères, du Commerce extérieur et de la Coopération au Développement, nous avons accompli un travail utile.

Nos camarades kényans ont organisé des study circles pour les ouvriers du transport, lancé des initiatives d’émancipation (empowerment) pour militantes syndicales, ont recruté des membres et renforcé le dialogue social, là où la chose était possible. Ils ont eu recours pour cela à l’expertise développée depuis plus de 30 ans déjà par le programme PANAF en Afrique. Il s’agit du programme de coopération le plus ancien et le plus vaste autour de l’éducation des travailleurs en Afrique.

De nombreux militants syndicaux en vue ont entamé leur carrière syndicale dans ces study circles. Je suis très fier que la confédération à laquelle appartient mon syndicat soit l’un des partenaires du programme PANAF.

Grâce à une visite d’étude en Belgique, ils ont aussi pu voir quels étaient les avantages et les inconvénients de l’approche belge. Et reprendre ce qu’ils pensaient pouvoir utiliser dans leur propre action syndicale. Nous sommes fiers de ce projet et sommes fermement convaincus de son utilité. Pour nos partenaires mais aussi pour nous-mêmes.

Après chaque visite d’étude, je reviens en Belgique les batteries rechargées, avec de nouvelles idées, avec de l’inspiration et surtout un regain de motivation et de conviction. La coopération fonctionne dans les deux sens. Romano est l’un des syndicalistes avec lesquels nous travaillons au Kenya. Il a des allures de bélier trapu. Avec ses camarades du KLDTDU, il essaye d’organiser les transporteurs internationaux en syndicat. Une tâche très ardue dans son pays. Nombreux sont les employeurs qui ne veulent pas entendre parler de syndicats et font donc tout ce qui est en leur pouvoir pour écarter toute représen- tation syndicale.

Le secrétariat du syndicat se trouve à Mombassa, dans un hub de transport. J’ai eu l’occasion de visiter ce lieu début mai 2023 et de discuter avec une délégation du syndicat local. Nous étions entassés à quinze dans une petite salle de maximum quatre mètres sur cinq. J’étais assis avec cinq collègues, les autres devant rester debout pendant la réunion faute de sièges. Il y avait un deuxième bureau avec un ordinateur dans ce minuscule bâtiment. Le seul luxe de la salle de réunion était un petit écran tv où le syndicat projette des vidéos éducatives éclairant les chauffeurs sur leurs droits et obligations. Chaque fois que je rencontre Romano et ses camarades, je suis terriblement impressionné. On est ici au cœur d’un véritable travail de pionnier. Bâtir un syndicat de transporteurs sans pratiquement aucun moyen financier. Il faut le faire.

Notre projet de coopération au Kenya a entre-temps été prolongé à nouveau jusqu’en 2026. Ce projet vise à permettre aux travailleurs de mieux s’organiser et donc s’affilier au syndicat. Pour faire ainsi valoir leurs droits par le biais de la concertation sociale et améliorer les conditions de travail de façon durable. Les choses se déroulent souvent de façon pénible car de nombreuses entreprises préfèrent que les syndicats se tiennent éloignés, comme chez nous en Belgique.

D’autres objectifs du projet sont d’attirer un plus grand nombre de femmes dans l’activité syndicale à tous les niveaux et de sensibiliser les travailleurs aux risques liés au HIV. Sur place, ce dernier point va souvent de pair avec une volonté d’améliorer la sécurité au travail en général.

Au moyen de rapports détaillés, nous sommes régulièrement tenus au courant des progrès engrangés.

KLDTDU Mombassa, qui organise les chauffeurs poids lourds, compte actuellement 2.000 membres cotisants. Le recrutement de camionneurs est malaisé vu la nature mobile de la profession. C’est pourquoi le syndicat a déplacé son bureau vers une route fort fréquentée par les transports de marchandises, afin d’être facilement joignable pour ses membres.

Actuellement, ils organisent des cours de conduite défensive et de sécurité pour les chauffeurs en général. La plupart des accidents avec des chauffeurs de camions surviennent surtout la nuit sur des routes non éclairées. Au passage des frontières, les chauffeurs sont aussi souvent victimes d’actes de violence. Le syndicat essaye de conscientiser davantage les chauffeurs sur les dangers de la route et collabore par la même occasion avec les syndicats des pays voisins pour accroître la sécurité des chauffeurs. Ils travaillent maintenant aussi avec des représentants locaux du KLDTDU aux postes-frontières. La diffusion des informations aux chauffeurs passe surtout par les study circles précités, où des situations de travail concrètes sont étudiées afin de solutionner les problèmes.

‘La solidarité n’est pas qu’un terme, c’est une attitude, un comportement.’

Le syndicat de dockers DWU compte actuellement déjà 5.000 membres et est donc bien sur la voie d’une autonomie renforcée. De plus, ils disposent de 120 militants dans le port de Mombassa pour informer leurs affiliés. Ils sont donc déjà un peu plus loin dans leur activité syndicale. Ils ont notamment annoncé, non sans fierté, qu’ils avaient entièrement digitalisé la gestion de leurs membres et qu’ils ouvriraient bientôt leur site Internet.

Il reste encore un effort à fournir en matière de communication interne. Pour expliquer ce qu’ils font et comment ils le font : cette information doit circuler encore davantage vers leurs représentants et leurs membres.

DWU va toutefois au-devant de temps difficiles car le gouvernement s’efforce de privatiser le port de Mombasa. Le syndicat s’est engagé résolument dans la lutte, conscient qu’une éventuelle privatisation pourrait entraîner une perte de membres et donc aussi de recettes. Cela ne les empêche pas de poursuivre leur programme dans l’enthousiasme avec l’intention d’attirer encore plus de femmes et de jeunes dans leur action.

Renforcer les syndicats de dockers et de chauffeurs à Abidjan

Toujours à la demande de l’ITF, nous nous sommes engagés dans un projet en Côte d’Ivoire. L’approche est identique. Nos partenaires sont des syndicats actifs dans le port et dans l’industrie du transport routier. Cette relation avec des organisations de la partie francophone de l’Afrique en fait des partenaires évidents. Dans notre pays aussi, le français est l’une des langues véhiculaires. Nous en sommes encore au début de ce partenariat, qui court jusqu’en 2027. Mais là aussi, nous avons confiance et nous sommes convaincus de l’utilité de ce que nous réalisons.

Le projet aurait en fait déjà dû démarrer en 2020 mais il a été laissé en suspens car la situation après les élections d’octobre de cette année-là était relativement explosive en Côte d’Ivoire. Par la suite, toutes les attentes ont été revues à la baisse pour cause de pandémie du Covid. Entre-temps, les modifications nécessaires ont fini par être apportées et le projet quinquennal a pu être lancé en 2022.

Le focus du projet est mis sur cinq syndicats actifs dans le port d’Abidjan. Deux syndicats d’ouvriers portuaires et trois syndicats de chauffeurs camions. L’objectif stratégique du projet correspond dans les grandes lignes au projet du Kenya, à savoir renforcer la force de frappe syndicale des ouvriers du port et des chauffeurs poids lourds afin d’encourager et de promouvoir ainsi des conditions de travail décentes (decent work) pour les travailleurs de ces deux secteurs.

Les objectifs du projet sont clairement décrits. Renforcer les syndicats au niveau du leadership, de l’organisation, des négociations et des campagnes à mener. L’augmentation de la participation des femmes et des jeunes dans les activités syndicales et les structures dirigeantes figure également à l’ordre du jour. La consolidation et la promotion de la notion de travail décent passant par l’amélioration de l’environnement de travail mais aussi de vie (au moyen d’un dialogue social visant à améliorer les droits syndicaux, la création d’emplois et la protection sociale) forment naturellement la première priorité. La collaboration, la solidarité et l’unité entre routiers et dockers ne peut qu’être profitable à la puissance des deux groupes.

Le but à atteindre au bout du projet est aussi clair : un Comité des femmes et des jeunes (Women’s & Youth Committee) fonctionnant bien. Un trajet accompli de study circles sur des thèmes divers tels que négociations, aptitudes à diriger, organisation de campagnes, recrutement de membres, communication et decent work.

La force des collaborations bilatérales

Notre collaboration bilatérale avec d’autres syndicats ne se borne pas à l’Afrique.

Récemment, nous avons signé une convention de coopération avec le syndicat coréen KPTU-Trucksol. Nous poursuivons en effet un objectif commun : la défense et l’amélioration des salaires, des conditions et des droits pour les chauffeurs poids lourds ; la sécurité routière pour les usagers de la route et la durabilité du secteur du transport routier dans nos pays respectifs et à l’échelle mondiale.

Le contexte politique, économique et social et les relations de travail qui occupent nos deux organisations sont certes très différents. Nous devons cependant aussi faire face à des défis comparables résultant de la dérégulation du marché du transport par route, la concentration du pouvoir autour des entreprises trônant au sommet des chaînes de sous-traitance du transport routier (les employeurs économiques) et la sous-traitance accrue, ce qui conduit à une situation de concurrence déloyale dangereuse et intenable pour les travailleurs du secteur.

Dans ce contexte, les transporteurs de nos deux pays sont confrontés à la concurrence de chauffeurs soumis à des conditions de travail plus défavorables, des bas salaires, une plus grande insécurité d’emploi et une pression accrue les incitant à se plier à des pratiques risquées en matière de sécurité. Cette pression menace le bien-être des chauffeurs et de leur famille et rend la route dangereuse pour tous.

Nos deux syndicats estiment que ces problèmes doivent être solutionnés :

– en faisant payer aux employeurs économiques, pour le transport, un juste prix garanti couvrant tous les coûts sociaux et en leur faisant assumer leur responsabilité pour le respect de normes de travail loyales et sûres dans leurs chaînes de sous-traitance,

– en organisant et développant la solidarité entre les travailleurs des chaînes de sous-traitance du transport routier.

En d’autres termes, la garantie de tarifs établis et un plus grand devoir de responsabilité de la part des employeurs économiques constituent la réponse à la question de savoir comment mettre en place des pratiques loyales, sûres et durables dans le secteur du transport routier. Les expériences positives liées au système sud-coréen de prix sécurisés entre 2020 et 2022 et des formules analogues dans d’autres pays du monde le prouvent.

MOHAMMED DAUDA SAFIYANU
°20/12/1969. Nigeria.
Secrétaire régional de la Fédération internationale des ouvriers du transport Afrique (ITF Africa).

°10/07/1962. Sénégal.
Secrétaire régional adjoint de la Fédération européenne des ouvriers du transport Afrique (ITF Africa).

‘Ce monde appartient à quiconque ouvre son coeur et se dévoue passionnément à la justice.

MOHAMMED DAUDA SAFIYANU & BAYLA SOW

La Fédération internationale des ouvriers du transport (ITF Global) est une fédération syndicale internationale connue pour son combat, depuis sa création en 1896, il y a plus de 100 ans, en faveur des droits des travailleurs et des droits humains.

En tant que syndicalistes, nous embrassons l’idée que chacun a sa place dans ce monde et que ce monde appartient à quiconque ouvre son cœur et se dévoue passionnément à la justice. Notre mission dépasse le lieu de travail, elle s’étend à l’ensemble de la communauté et à la société en général. Nous reconnaissons que les droits des travailleurs sont des droits humains et que notre solidarité dépasse les frontières. En agissant pour la solidarité internationale, en s’attaquant aux inégalités et en plaidant pour le bien-être de tous, nous cherchons à créer un monde où chacun a sa place et profite de son abondance.

CAROLINE GENNEZ
° 21/08/1975. Belgique.
Ministre de la Coopération au développement et de la Politique des Grandes villes. Chargée de la politique de solidarité internationale et d’aide humanitaire et de l’amélioration de la vie, du logement et de l’emploi dans les grandes villes. Ancienne sénatrice, députée et députée flamande pour le parti socialiste flamand.

‘La solidarité internationale n’est pas non plus une question de charité. Il s’agit simplement de bon sens.

CAROLINE GENNEZ

Nous sommes le 18 avril 2023. Je suis en vidéoconférence avec l’Organisation internationale du Travail (OIT), basée à New York. Nous exprimons notre soutien en faveur de l’Accélérateur mondial pour l’emploi et la protection sociale pour des transitions justes. L’objectif de cette initiative est d’obtenir différents financements afin de mettre en place une protection sociale pour 4 milliards de personnes et créer 400 millions d’emplois verts et décents.

Il s’agit d’une nécessité absolue. Environ 720 millions de travailleurs gagnent moins de 2,15 dollars par jour. 4,1 milliards de personnes ne peuvent compter sur aucune forme de protection sociale.

Au niveau mondial, nous sommes face à un choix : soit nous nous retranchons derrière de hauts murs et espérons que les problèmes se résolvent d’eux-mêmes, soit nous reconnaissons les nombreux défis globaux et nous agissons. Certains prétendent que nous sommes impuissants face à tous ces défis. Ou qu’essayer de trouver des solutions revient à jeter l’argent par les fenêtres.

Heureusement, beaucoup d’entre nous, comme les syndicats, comprennent encore que le monde ne fonctionne pas comme ça. Des événements qui touchent le reste du monde, comme un nouveau virus sur un marché journalier, un conflit latent qui s’aggrave, une forêt qui disparait, ont un impact direct sur notre vie quotidienne. Au lieu de détourner le regard, nous choisissons d’affronter le monde les yeux grand ouverts et de résoudre les problèmes ensemble.

Je considère que l’une de nos priorités est de miser sur les fondements d’un État-providence fort grâce à la solidarité internationale. C’est ce que nous faisons concrètement dans nos pays partenaires par le biais des soins de santé, de l’enseignement et du travail décent.

La coopération belge au développement vise une croissance économique inclusive, équitable et durable, donnant la priorité à l’entrepreneuriat local, à l’économie sociale et à l’agenda pour le travail décent de l’OIT.

Un enseignement de qualité pour les garçons et les filles est la meilleure manière de faire avancer une société. La connaissance permet aux jeunes du monde entier de s’émanciper et d’être en meilleure santé. Elle leur permet aussi de trouver de meilleurs emplois, ce qui bénéficie non seulement à leur famille, mais aussi à l’ensemble de leur communauté.

Lorsque des extrémistes sont au pouvoir, l’État-providence recule. Les droits des filles et des femmes sont les premiers à être menacés. Et lorsque les filles et les femmes sont opprimées, c’est toute la société qui s’en trouve appauvrie. Le régime de terreur des talibans en Afghanistan en est l’exemple le plus douloureux.

Face à ces extrêmes, nous devons mettre en place un contre-pouvoir. Selon l’Indice des droits dans le monde 2022 de la Confédération syndicale internationale (CSI), le nombre de pays limitant la liberté d’expression et de réunion a augmenté de 41 pour cent. L’acquisition de droits politiques et sociaux bénéficie aux populations locales du monde entier. Il s’agit donc d’une autre priorité de la coopération belge au développement. Nous avons créé le « Civic Space Fund » pour soutenir la société civile dans nos pays partenaires. Il s’agit d’aider les organisations sociales ou les défenseurs des droits humains dans des régions où la société civile est opprimée.

La solidarité n’est pas une question de choix, où nous devons soit investir dans notre propre société, soit aider les personnes en situation de précarité dans le reste du monde. La solidarité internationale n’est pas non plus une question de charité. Il s’agit simplement d’une question de bon sens. En aidant la population du monde entier, nous nous aidons nous-mêmes. Lorsque nous investissons dans la solidarité internationale, nous investissons dans notre avenir commun.

MARLEEN TEMMERMAN
° 24.03.1953. België.
Eerste vrouwelijke Belgische professor Gynaecologie. Hoofd van het departement gynaecologie en verloskunde van de universiteit van de ontwikkelingsorganisatie Aga Khan Development Network. Leidinggevende aan het Oost-Afrikaanse Aga Khan-netwerk voor vrouwengezondheid en onderzoek.Voorheen Senaatsvoorzitter van de Commissie voor buitenlandse aangelegenheden en defensie,
fractieleider in de Senaat voor sp.a (Vooruit) en hoofd van het Departement voor Reproductieve Gezondheid en Onderzoek van de Wereldgezondheidsorganisatie.

‘Think globally, act locally.

MARLEEN TEMMERMAN

À l’heure où la tendance mondiale va de plus en plus vers la « priorité à son propre peuple », où la solidarité est un mot que l’on entend à peine et qui suscite même des réactions négatives, il est important de marquer un temps d’arrêt.

Le chapitre « Chaque citoyen est du monde et le monde est à chaque citoyen » m’a particulièrement touchée, aussi parce que je peux témoigner, depuis le premier rang, de l’importance de la coopération internationale des syndicats pour les organisations représentatives des travailleurs et des ouvriers au Kenya. Le Kenya, un magnifique pays d’Afrique de l’Est où j’ai mis les pieds pour la première fois en 1985 et qui est devenu depuis lors un peu comme ma seconde patrie. Un pays où le fossé entre les pauvres et les riches reste immense, mais s’est réduit entre autres parce que la classe moyenne s’est développée, grâce aux nombreux efforts consentis par le gouvernement et la coopération internationale.

Grâce à un meilleur accès à l’enseignement et à l’emploi, y compris pour les filles et les femmes, beaucoup de choses se sont améliorées, mais il reste encore beaucoup à faire, surtout dans les zones rurales et les quartiers pauvres des villes. La sécurité sociale en est à ses premiers balbutiements. Une personne qui perd son travail n’a pas de revenus car le revenu minimum d’existence que nous connaissons n’existe malheureusement pas pour la plupart des Africains. Ils ne bénéficient pas non plus d’une assurance maladie ou d’une pension, ce qui laisse de nombreuses personnes en difficulté, en particulier les plus vulnérables de la société. Cela s’est confirmé pendant la pandémie de Covid : à la suite des confinements et de l’interdiction mondiale de voyager, le tourisme, une importante source de revenus pour ce magnifique pays avec ses immenses réserves naturelles et ses plages, s’est effondré. De nombreuses personnes ont perdu leur emploi, entrainant une augmentation de la pauvreté, avec toutes ses conséquences, notamment pour les femmes et les filles.

Les inégalités restent un gros problème dans le monde entier, non seulement entre les pays pauvres et les pays riches, mais aussi au sein d’une même région ou d’un même pays. Certains indicateurs, comme la mortalité maternelle, les grossesses adolescentes, la violence sexuelle ou basée sur le genre, vont une fois de plus dans la mauvaise direction, mettant surtout en péril les droits des femmes et des filles. Lors de la Conférence internationale sur la population et le développement (CIPD) de l’ONU qui s’est tenue au Caire en 1994, presque tous les pays du monde ont adhéré au concept de « reproductive rights » : les droits reproductifs ou le droit des femmes et des filles de décider quand et de qui elles veulent être enceintes et combien d’enfants elles veulent. L’année prochaine, nous ferons le bilan de 30 ans de lutte, avec quelques réussites mais encore plus de revers dus au fanatisme religieux et aux forces conservatrices et misogynes présentes dans la société.

Avec les objectifs du Millénaire (2000-2015), nous avons réussi pour la première fois de l’histoire à réduire la mortalité maternelle de 40 % dans le monde entier, mais une femme meurt encore toutes les deux minutes quelque part dans le monde des suites d’une grossesse ou d’un accouchement, principalement dans les pays à faible revenu, mais aussi dans les couches vulnérables de la population des pays riches d’Occident. Actuellement, nous constatons de nouveau une remontée parce que d’autres priorités sont à l’ordre du jour et parce que le programme pour les droits des femmes est négligé voire abandonné dans de nombreux pays.

Aucun pays au monde ne pourra résoudre ce problème seul. Seule une lutte sociale à l’échelle mondiale pour l’égalité, la diversité, les droits des femmes et la santé pour tous permettra d’avancer. La solidarité est d’autant plus importante dans un monde globalisé où nous sommes tous, riches ou pauvres, confrontés aux conséquences du changement climatique principalement causé par les pays riches, mais faisant le plus de victimes dans les pays pauvres.

L’action syndicale internationale est d’une importance capitale. Allons de l’avant ensemble, en veillant à ce que davantage de femmes occupent des postes haut placés, à ce qu’il y ait plus d’égalité et de solidarité, et à ce que le monde soit meilleur pour tous.

Pour conclure, un beau proverbe africain : « It takes two to make a child, and a village to raise a child. Let’s all be part of the global village! »